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Daniel MORESMAU sur la place d'appel lors d'un pèlerinage dans le camp de Sachsenhausen
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28 août 1942 , date fatidique s'il en est une, pour moi, 17 ans 1/2 et mon père Camille, âgé de 46 ans … La France est occupée par l'armée allemande, après la défaite honteuse de 1940 ...
De petits groupes en unités de Résistance pour harceler les Teutons, ce qui a l'air de ne pas plaire aux occupants; c'est ainsi que papa Camille, communiste de conviction, mais ignorant les crimes de Staline, adhère à un réseau secret pour organiser la Résistance dans les Landes et contacter le général de Gaulle à Londres. Le coordinateur est un dénommé Lemasson ; malheureusement, celui-ci était filé et fut arrêté le 28 août; contraint de parler sous la torture, il cite le nom de Camille Moresmau, mon père, et voilà la Feldgendarmerie qui se précipite à 7 h45 au domicile familial, alors qu'apprenti menuisier, je m'apprêtais à partir à l'atelier.
Fouille en règle de la maison, tout est chamboulé, car ces messieurs cherchent des armes et des documents, mais ne trouvent rien.
Je suis emmené avec papa à la gendarmerie de Soustons (Landes), mon village natal, chacun dans une cellule triste à mourir. Puis, le lendemain, menottés, on nous embarque en train vers Bordeaux pour le sinistre Fort du Hâ. Après les formalités d'écrou, nous sommes hébergés chacun dans une cellule, prévue pour 3 ou 4 détenus maximum, mais nous y sommes à 10.
La nuit, c'est la torture, des punaises se laissant tomber du plafond et venant nous sucer notre pauvre sang aux poignets et chevilles; la journée, c'est la chasse aux poux de corps qu'on écrase entre nos ongles des pouces. Nous restons là à nous morfondre. Dans un angle de la cellule, un seul point d'eau qui sert de water, qui sert à nous laver, à nous dé-saltérer. Les menus sont nettement carencés; le matin, une eau chaude noirâtre baptisée café et une boule de pain bis 300 g environ pour la journée; à midi et le soir, une louche de soupe de rutabagas et céleri ; on ne nous fait sortir dehors qu'une fois par semaine un quart d'heure, en file indienne, et malheur à celui qui parle.
Fin janvier 1943, on rassemble tous les détenus politiques dans la cour, on nous donne une boule de pain bis, pétri avec un peu de sciure de bois et nous sommes dirigés vers la gare d'où le train nous emmènera à Compiègne. Nous y restons 2 ou 3 jours, Après que l'on nous ait distribué une housse de matelas et de la paille, une gamelle en fer, une cuillère à soupe et, je crois aussi un quart de l'armée ... Grand branlebas un matin, on nous fait mettre en colonne par 5, nous traversons la ville, encadrés par des soldats chleuhs; aux fenêtres, les gens nous font des signes d'amitié, ça réconforte, puis nous sommes entassés dans des wagons à bestiaux au sol paillé, serrés comme des sardines en boîte, la porte fermement verrouillée avec du fil de fer barbelé ... La boule de pain bis est entamée et ne calme pas beaucoup notre fringale ... Puis, le convoi s'ébranle et nous roulons, roulons, roulons. Certains nous épellent les noms des gares qu'on voit à travers les interstices du wagon. Après réflexion, il semblerait que nous roulions vers l'est. Malgré que nous soyons en janvier, la soif vient nous tenailler. A certains arrêts, des cheminots nous donnent du précieux Iiquide, vite bu. Et puis, les noms des gares n'ont plus la consonance française familière, nous sommes bien en territoire Teuton. La végétation aussi se différencie. Nous traversons des forêts de pins sinistres, noirs comme s'ils avaient brulé, loin du brun joyeux de nos pinèdes landaises, puis, le train stoppe ; enfin, les portes s'ouvrent et nous sommes accueillis par des hurlements, des aboiements furieux de chiens.
. Des matraques nous font plier l'échine, nous meurtrissent, il faut courir, courir et courir encore pour fuir la douleur. Certains ont le souvenir de la soif qui les tenaillaient, alors à la vue d'une flaque, ils s'accroupissent et lapent le liquide ... Finalement, sous les pierres que nous jettent des gamins hilares, nous arrivons en face d'une colossale porte métallique qu'il nous faut franchir pour se retrouver sur une immense place et face à une lourde et grimaçante mitrailleuse. Une infimité de longues baraques ceinturent la place et délimitent l'enfer.
39 mois entre les griffes de SS, ces criminels nazis, n'ont fait que renforcer mes convictions de JUSTICE et de LIBERTÉ. Bref. Bien qu'il fasse un froid à ne pas mettre un chien dehors, on nous fait dévêtir et nous enfilons notre tenue de bagnard, veste et pantalon rayés bleu clair et mettons aux pieds des chaussures à semelle de bois, et le crâne rasé, la boule à zéro. Nous sommes mis en quarantaine dans une baraque (block) spéciale où nous allons apprendre à bien prononcer en allemand notre numéro matricule (moi 58535, papa 58534), apprendre à marcher au pas, à tourner à droite, à gauche, et à confectionner sur une bande de tissu notre numéro repère avec de l'encre spéciale et des pochoirs; pour les coudre : un sur la veste, à hauteur de la poitrine gauche, l'autre à hauteur du genou gauche du pantalon.
La quarantaine terminée, on nous affecte à. un kommando, moi qui étais apprenti menuisier, je rejoins un atelier de menuiserie au nord-est de Berlin, ce qui m'a sauvé, car nous étions à l'abri et au chaud, de plus, le kommando était restreint, entre 50 et 60 détenus, ce qui était vite compté en comparaison du grand camp de Sachsenhausen avec ses 30 à 35 000 détenus; vers la fin 1944, il y en avait 40 000.
1 heure d'appelle matin, 1 heure d'appelle soir, par n'importe quel temps. Le patelin du kommando s'appelait Fürstenwalde, traduit par Forêt des Princes en deux temps deux mouvements, les effectifs, 50 à 60 déportés, étaient comptabilisés. La nourriture était insuffisante, peu dynamisante : le matin, 1 bol d'eau chaude noirâtre appelée café, sans sucre, avec parfois un petit cube de margarine et/ou une rondelle de saucisson de chien, le midi et le soir, une louche de soupe assez consistante de pommes de terre, céleri, jamais de viande ni poisson, des fois, des pâtes. Et puis, une nuit de forte tempête a permis à 2 détenus: 1 droit commun et 1 politique, de se faire la belle; du coup, le commandant, un brave pépère SS est muté au front de l'Est et remplacé par un fondu, un opportuniste, un cinglé qui fait tout pour éviter d'aller à Stalingrad et fait de l'excès . de zèle ... Les jours passent monotones, mais malgré tout, nous savons que les chleuhs perdent pied en Russie, comme Napoléon, et que bientôt sera l'hallali.
Ce grand jour arrive, fin avril 1945 et la reddition signée le 2 mai 1945.
Il faut savoir qu'avant cette reddition, l'Armée rouge russe et les troupes américaines marchant vers Berlin, Hitler avait ordonné l'évacuation des déportés du camp de concentration de Sachsenhausen, vers la mer Baltique, pour être entassés sur des rafiots et coulés au large.. De Sachso à la Baltique, il y a bien 300 km à se taper à pied, encadré par les SS ... par sections de 100 je crois, nous avons évacué le camp vers la fin avril, en emportant avec soi une seule couverture; on faisait environ 30 km par jour, en donnant le soir à l'endroit où nous nous trouvions. Ce fut le cas une fois où nous dûmes nous allonger sur les pavés d'une ferme et où il plut toute la nuit. A chaque étape, le soir, à l'arrivée, nous recevions 3 ou 4 pommes de terre cuites, puis nous atteignîmes le bois de Below, vaste forêt qui porte encore les traces de notre passage, écorces gravées avec des initiales, des symboles et où il y eut des preuves de cannibalisme. Heureusement, plus nous avancions vers la mer Baltique, plus nous risquions de nous rencontrer avec l'année américaine et l'Armée rouge qui tenaient Berlin en tenaille ... et puis, au fur et à mesure de notre avance, on constata que nos geôliers SS se déshabillaient et avaient en dessous des vêtements civils. Dès lors, il était évident qu'ils ne s'intéressaient plus à nous. Je lâchais la colonne et continuais seul ma route, droit devant. Un panneau m'indiqua que j'allais à Schwerin.
Tous les bas-côtés des routes étaient encombrés de véhicules abandonnés, d'armes, Je pus mettre ainsi un revolver à ma ceinture. Une cantine roulante .avait encore de. la goulasch tiède qui me réconforta ; l'Aigle était vaincu, déplumé, cloué au pilori, écartelé ... et puis, quelle joie de voir en avançant, 3 calots de pioupious français qui regardaient tout le remue-ménage sur la route. Ils m'accueillirent, étonnés de me voir avec un numéro cousu sur ma veste. Pour la première fois depuis longtemps, je fis un vrai repas, en restant prudent toutefois pour éviter la dysenterie. La LIBERTE me faisait tourner la tête. Un soldat américain me photographia avec un copain ex-déporté comme moi. J'ai encore le cliché. Avec un camion récupéré, des brassards bleu-blanc-rouge, nous allions dans les villages alentour et, nous adressant aux maires, nous réquisitionnons force victuailles : lait, viande, volailles, légumes, pain, que l'on apportait à une ancienne caserne des jeunesses hitlériennes qui hébergeait dès lors nos camarades valides en vue de leur rapatriement.
Pour regagner mon village natal dans les Landes, ce n'était plus qu'une question de jours ... Passage de la frontière belge à Jeumont, à Paris, hôtel Lutétia, pour les formalités, billet de retour SNCF, un petit pécule, costume et chaussures, puis OUF, embarquement avec l'aide de la Croix-Rouge, direction le pays natal Souston et son lac (Landes) où je retrouve mon père qui m’avait devancé d’un jour
Telle est mon épopée durant le régime nazi et sa croix gammée criminelle.
J’AI DIT ! pour parodier nos Frères Francs-Maçons.