HOMMAGE A GILBERTE BOUQUET

 

Gilberte née le 28 mars 1917 à Paris,
Tu ne t’es pas réveillée ce dimanche matin, 20 décembre dernier et nous sommes tous réunis en cette veille de Noël, pour te rendre l’hommage qui t’est du.
Gilberte, après des études primaires, puis le cours complémentaire et l’école primaire supérieure à Paris, tu deviens institutrice suppléante à Bétoncourt – Saint Pancrace en Haute Saône en 1938 et es nommée à Venisey en 1940.
Institutrice de campagne par choix tu deviens également secrétaire de mairie.
Ah non, toi, tu n’apprendras pas à tes élèves la chanson « Maréchal nous voilà…. » pas question !

C’est en mars 1940, que tu épouses Marcel Jacquot à la faveur d’une permission lui qui, dès le début de la guerre, avait été mobilisé. Tu restes seule dans ton logement de fonction et tu t’engages en 1943 dans la résistance en devenant agent de liaison.

Tu accueilles des résistants, portes du ravitaillement à des maquisards réfugiés dans les bois, et participes au montage d’un réseau sanitaire. Résister aux boches, toujours résister.

De fait de tes fonctions de secrétaire de mairie, tu n’hésites pas à tricher sur les tickets de rationnement pour que tout le monde ait du lait. Tu cours déposer de la nourriture à l’entrée du bois pour les maquisards qui s’y cachent sans jamais les rencontrer, tu héberges une jeune polonaise des FTP et des soviétiques évadés. Tu résistes, et tu soutiens également dans sa correspondance, le moral de ton filleul des brigades internationales pendant la guerre d’Espagne.

Sur dénonciation, c’est le 20 juin 1944 que tu es arrêtée : prison de Vesoul où tu subis des interrogatoires très musclés….. Frappée à coups de nerfs de bœuf tu serres les dents, tu « gueules » quand les coups tombent et que ça te fait mal, très mal, mais tu ne parles pas. Jamais tu ne livreras quelque information. Résister, toujours résister.

Après 8 jours, tu es emmenée à Besançon dans une autre prison allemande. Tu ne peux plus t’asseoir du fait des coups reçus, tu y restes à l’isolement 27 jours avant d’être transférée au Fort Hatry de Belfort où tu te retrouves enfin dans une chambrée. Fin de l’isolement.

Tu quittes Belfort dans ces sinistres wagons à bestiaux inhumains le 31 août 1944, sans savoir vers quelle destination tu pars. Tu réussis à écrire un message sur une feuille de papier toilette pour informer tes parents du sort de leur fille. Tu le jettes par la fenêtre telle une bouteille à la mer espérant qu’il leur parviendra….. et il leur parviendra.

Le voyage dure 3 jours en ne recevant pour toute pitance qu’un petit bout de pain.

C’est le 3 septembre 1944 que tu entres dans l’enfer concentrationnaire de Ravensbrück sous le numéro matricule 62932 ne conservant que la petite bague que Marcel t’avait offerte, la cachant précieusement.

Durant les 3 premières semaines à Ravensbrück, tu remontes du sable qui descend d’une dune et recouvre des lignes électriques de la clôture avant de partir pour l’usine Daimler Mercédès sous le matricule 8082. Là, tu travailles à l’installation de soupapes sur les cylindres de moteur d’avion. Dès qu’un sabotage sur une pièce est possible, tu ne t’en prives évidemment pas ! Résister, résister encore et toujours.

Le 17 avril 1945 il vous fallut évacuer l’usine : départ direction Berlin avec aux pieds des claquettes, tu avais perdu tes sabots.

Marche durant toute une journée - puis on vous met dans un train destination le camp d’Oranienburg Sachsenhausen d’où tu seras évacuée comme tous les déportés de ce camp, jetés sur les marches de la mort, le 21 avril 1945. C’est là que tu perds tes claquettes en te battant pour récupérer un colis de nourriture en provenance de la Croix Rouge. Tu marcheras avec aux pieds, des chaussons de lainage en guise de chaussures.

Là sur cette route, il ne faut pas tomber, sinon les SS abattent les détenus d’une balle dans la nuque. Tu avances, tu soutiens Mireille ta copine, qui flanche, mais revient à elle.

Ne pas abandonner, serrer les dents, avancer….. résister, encore et toujours résister.

Quand l’occasion s’est présentée, c’est avec Mireille, Colette et Marie-France que vous réussirez à vous évader et à vous cacher dans un transformateur où vous resterez tapies, sans bruit tant que la colonne et les SS sont là. Vous n’en sortirez que pour rencontrer des prisonniers de guerre français qui vous donnent de quoi vous fabriquer des vêtements, ce petit pull bleu marine cousu à gros points grossiers que tu m’as confié avec d’autres précieux objets pour que je les conserve, mais ces vêtements de fortune vous permettaient de quitter enfin vos tenues rayées de bagnards

 

C’est le 1 er mai 1945 que l’armée soviétique entre dans la ferme où tu es réfugiée et que tu es enfin libre.

Tu ne pèses plus que 32 kilos dans ta robe rayée, le corps rongé par la gale, avec ton pull cousu avec le fil d’une couverture, tes chaussons de lainage troués en guise de chaussures, ton assiette en fer blanc confectionnée dans une pièce d’avion et ta précieuse cuiller.

Enfin le retour vers la France :

Après quelques jours de repos tu pars à pied jusqu’à l’Elbe. On te donne des papiers.

Vers le 8 mai, encore un grande pause puis reprise de la marche, rassemblement à Genthin, voyage en péniche pour rejoindre le secteur américain d’où tu prends un camion à Stendhal pour monter dans un train de marchandises qui vous fait traverser Cologne, Maastricht puis Liège où tu te restaures enfin. Et la France où tu arrives le 28 mai à Hirson et d’où tu expédieras un télégramme à tes proches pour les rassurer sur ton sort.
Après ton passage à l’hôtel Lutetia où tous les déportés à leur retour de captivité sont accueillis, tu arrives enfin à Colombes dans ta famille et c’est là que tu apprends l’affreuse nouvelle de la mort de Marcel et des terribles circonstances dans lesquelles cela était arrivé. Le drame le plus douloureux de ta vie.

Après une période de soins tu reprends ton activité le 1 er juillet dans l’enseignement en repartant pour Venisey où tes élèves t’attendent.

C’est 3 ans plus tard que tu épouses Albert Nigeou, un de vos prisonniers sauveurs qui te donnent ce que tu as eu de plus précieux, tes 3 filles que tu chérissais tant : Annick, Irène et Denise. Il décèdera en 1954.

En 1961 tu épouses André Bouquet, interné à Mérignac, et tous les 5 vous recomposez une famille heureuse.

Gilberte, tu as connu l’enfer et cet enfer, chaque jour, resta à jamais gravé dans ta mémoire, intact, de ta libération à dimanche dernier. Cet enfer ne t’a jamais laissé en paix.

Et d’ailleurs, comment est-il possible pour ces femmes, ces hommes, d’oublier ces heures abominables de torture, de faim, de froid, de sévices, d’humiliation, d’avilissement, d’ignominies, de brutalités, de violences, d’esclavage, d’oppression,….

Quel courage il t’a fallu pour survivre à l’indicible !

Tes filles d’abord, puis tes petits enfants t’aidèrent beaucoup dans cette difficile reconstruction, mais c’est également auprès de tes frères de misère, ceux qui comme toi connurent l’enfer concentrationnaire, que tu t’engageas et œuvras jusqu’au bout de tes forces pour faire connaître ce que l’on ne veut plus jamais revoir et que tu as vécu si douloureusement dans ta chair.

Des années durant, avec ton copain Jean Lainé, tu as visité les établissements scolaires de l’arrondissement pour témoigner inlassablement auprès des jeunes élèves. Au collège Agrippa d’Aubigné à Saintes tu as même une salle de conférence qui porte ton nom.

A chaque fois, pour toi, revivre ces moments était difficile, éprouvant, mais comme tu l’as si souvent dit, il fallait que tu le fasses pour tenir la promesse que tu avais faite à tes camarades restés dans les camps ou sur les routes des marches de la mort et surtout pour que les jeunes connaissent les causes et les conséquences des extrémismes, afin qu’ils sachent où cette barbarie pouvait mener, afin qu’on ne recommence pas l’horreur de cette histoire, Notre Histoire.

Gilberte, nous demeurerons les gardiens vigilants de ta mémoire, de la mémoire des déportés et nous nous appuierons, nous nous nourrirons de votre courage face à l’idéologie nazie pour avoir la capacité de préserver et valoriser nos libertés, celles que vous nous avez si chèrement rendues et aujourd’hui encore trop souvent bafouées.

Pour un monde meilleur, tu nous as offert le meilleur de toi-même. Nous te devons à toi et tes camarades de misère ce que nous sommes aujourd’hui, vous qui depuis 70 ans, avez entretenu en nous la force nécessaire à la préservation de notre capacité à résister et à nous indigner.

Non, les marchands d’illusion ne sont pas morts. Ils orchestrent et distillent encore et toujours avec habileté leur propagande et manipulent souvent à leur insu, les individus les plus fragiles, et le travail de mémoire est et restera le rempart efficace et intangible que nous devons ériger pour contrer leurs stratégies.

C’est ce que tu m’as enseigné et je ne l’oublierai pas.

Préserver, maintenir et conserver le souvenir vivant des déportés, votre souvenir, ce n'est pas seulement communier dans "la douleur" la disparition des êtres qui nous sont chers, c'est aussi et surtout, prolonger votre engagement idéologique, c’est promouvoir le partage, la solidarité, la tolérance, les valeurs sociales et morales qui vous étaient et nous sont chères, des valeurs universelles.

Tout au long de ta vie Gilberte, tu es restée une femme de caractère, discrète, mais combative oh combien contre toute résurgence du nazisme, contre tout totalitarisme : tu en connaissais les conséquences néfastes.

Gilberte, petit bout de femme volontaire, je te promets que tout ce que tu as fait ne tombera pas dans l’oubli.

Tu n’étais pas bien grande mais tu tenais une grande place dans nos cœurs, dans mon cœur, il ne me reste plus que mes souvenirs. Nous avons partagé tant de pèlerinages à Sachso ta famille de cœur, de cœurs meurtris, tant de congrès et tant d’instants heureux car tu n’étais la dernière à t’amuser et à sourire dès que tu le pouvais.

Tu es arrivée au terme de ta vie, tu laisses un vide incommensurable.

 

Au revoir Gilberte, sois enfin en paix.

Christine CAVAILLES

Hommage à Gilberte Bouquet