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Témoignage de Marc GRANOUILHAC déporté au camp de Sachsenhausen puis au Kommando satellite de Lieberose

Marc Granouilhac a écrit ce témoignage à la demande de Peter Kotzan professeur d'histoire à Lieberose.

Ce professeur souhaitait créer un musée hommage aux déportés dans les vestiges du camp. Ce qui a été fait dans les années 80.

Ce témoignage est disponible à l'intérieur du musée.

 

L’histoire du kommando Lieberose

 

Après ses défaites pendant les Batailles de Stalingrad et au Kursker Bogen, la direction fasciste allemande conçut une série de résolutions pour stabiliser son autocratie et la poursuite de la guerre. A cela s'ajoutait l'accélération de la construction du champ de manœuvres des Waffen-SS pour lequel les habitants de 17 communes situées à l’est de Lieberose devraient quitter leurs villages. Pour la construction du champ de manœuvre la Waffen-SS avait besoin de main-d’œuvre bon marché et privée de ses droits. C'est pourquoi le kommando Lieberose fut érigé connue camp secondaire du KZ Sachsenhausen, dans le village de Jamlitz près de la gare. A l’automne 1943, le camp fut bâti par les détenus du KZ Sachsenhausen et par des travailleurs forcés Néerlandais. Bientôt le camp eut 6 baraques d’habitation, une baraque cuisine, une infirmerie et deux baraques sanitaires (lavabos et toilettes). Dans ce camp régnaient les plus sévères conditions de vie et en particulier un travail meurtrier. Par exemple, dans les baraques il n’y avait pas moyen de se laver ou d’utiliser un lavabo. Comme nom de camouflage, comme beaucoup d'autres camps, il s'appelait "Camp de travail".

L'ancien détenu Andrej Sarapkin fait un rapport sur l'arrivée des premiers détenus à l'automne 1943:

"Nous passions par une large porte, elle était encadrée de fils de fer barbelés, comme une toile d'araignée, et nous découvrions une petite maison. Un jeune officier SS nous disait:

"Vous travaillerez au kommando Lieberose. Pour le moment vous habiterez dans cette maison. A chaque tentative de fuite nous fusillerons le deuxième homme. Le travail commence aujourd'hui. Vous travaillerez comme jamais encore dans votre vie. Vos existences dépendent de la vitesse et de la qualité du travail." Pour nous commençait une triste et douloureuse période. "Qui des 22 d’entre nous survivra à Lieberose ?"

Au printemps 1944, les premiers transports arrivaient. Les nouveaux détenus venaient d'autres camps, en particulier des KZ Auschwitz et Groß Rosen. Les détenus provenaient des pays d'Europe par exemple de Hongrie, de République Soviétique (ex URSS), de Pologne, des Pays-Bas, de France, de Grèce, de Belgique, d'Italie, de Norvège, du Danemark et de Tchécoslovaquie. La plupart des nouveaux venus étaient des juifs de Hongrie et de Pologne. Sous des conditions barbares ils devaient construire les établissements du champ de manœuvre.

Izidor Marmostein, qui vint au camp en juin 1944, écrivait dans ses mémoires:

"Nous étions 2 500 qui avions été transportés d'Auschwitz vers Lieberose. Nous construisîmes des abris bétonnés, fîmes des travaux de terrassement et travaillâmes dans la forêt. Tout était très pénible et dur. De plus, les hommes des SS nous battaient et nous maltraitaient. Par un froids glacial nous allions dans la forêt et nous travaillions très longtemps en plein air. Nos vêtements étaient modestes, nos mains et nos pieds étaient presque gelés. Là, seulement un petit nombre d'entre nous a survécu parce que le travail était pénible et la nourriture très mauvaise. Au commencement 2 500 hommes descendaient de notre transport, à la fin il n'en restait que 120 !"

"Le kommando de Lieberose ne possédait pas de four crématoire et les cadavres devaient être stockés dans une cave. De temps en temps on répandait de la chaux sur eux. Après ils furent casés dans des sacs en papier et dans des grandes caisses en bois. Puis les cadavres furent transportés vers KZ Sachsenhausen. Au début, le transport s'effectuait une fois par semaine, plus tard deux à trois fois" écrit Franciszek Federyga de Cracovie.

Claude René Roudaire, de France, fit un rapport sur un jour ouvrable:

“Se lever à 5 heures, un ersatz de café, appel jusqu’à 7 heures et le départ, au travail. Nous construisions des baraques qui étaient éloignées du camp de 2 km environ. Vers midi nous nous rassemblions pour manger la soupe qui était apportée du camp dans des containers. Elle était trouble et maigre. Dedans il y avait des choux-raves ou des choux et rarement, des pommes de terre. Le travail durait de 13h30 à 17h00 et après nous revenions à pied au camp. Si des camarades étaient morts, nous devions les transporter au camp, chaque fois 4 hommes portaient un mort. Cela arrivait fréquemment à cause des coups des SS et des coups des kapos."

Erna Steyskal vit les détenus quand ils travaillaient à la construction des routes:

"Quand j’étais tout près, mon cœur se contractait, c'était plus que pitoyable. Les détenus de tout âge portaient des vêtements rayés. Amaigris, à peine capable de rester debout, ils devaient porter à mains nues, qui saignaient en partie, de grandes pierres rectangulaires pour paver le chemin. De temps en temps un surveillant passait. Si les détenus ne travaillaient pas avec célérité, ils étaient battus avec un gourdin. Quand je les voyais revenir après 14 jours, la situation était pire. Les détenus me regardaient avec des yeux tristes, ils étaient proches de l’évanouissement. Apparemment beaucoup d'hommes avaient la diarrhée. Assis des deux côtés du chemin, ils ne pouvaient se lever qu'à grand, peine et quand cela durait trop longtemps les surveillants du camp battaient les détenus avec un gourdin qu'ils avaient sans cesse avec eux".

Le détenu néerlandais Peter Schouren-Gomolka parle des conditions dans le camp:

"À Lieberose, le règlement stipulait qu'il fallait travailler jusqu’à la mort. En hiver il y avait d’affreuses gelures. Au camp, beaucoup de détenus malades mouraient. Les malades encombraient les grandes baraques. Ils végétaient dans les lits jusqu'à la mort. Les juifs ne recevaient aucune assistance, beaucoup mouraient de froid. Énormément de juifs étaient malades. Continuellement l'infirmerie était comble. Les malades restaient dehors et imploraient l’admission à l’infirmerie. Généralement il n'y avait pas une place libre, c'est pourquoi 3 à 4 hommes devaient coucher dans un même lit.

Sous la conduite du médecin soviétique Victor Brachnikov les médecins et infirmiers des détenus se donnaient de la peine pour sauver la vie de leurs camarades. Mais ils n'avaient pas beaucoup de médicaments et de ressources.

Herbert Simon, de Brême, dit à propos de ce médecin:

"Encore un homme que je n'oublierai jamais, le docteur Victor Brashnikov, notre médecin du camp de Lieberose. On ne peut pas prononcer les mots justes pour comprendre son courage, son travail au péril de sa vie, sa serviabilité, sa grandeur d'âme comme médecin et comme homme."

En février 1945 les fascistes commettaient un crime capital de plus. Quand en janvier 1945 l'armée soviétique se trouvait près de l’Oder, l'ordre vint de dissoudre le camp. Des 3000 détenus qui se trouvaient encore dans le camp à ce moment, 2000 devaient, le 2 février 1945, marcher de Lieberose vers Sachsenhausen. Les vêtements étaient insuffisants, la nourriture mauvaise, les rues couvertes de neige fondue et la température basse. Pour les détenus de faible santé, cette longue et pénible marche fut un cruel martyre. Qui ne pouvait plus marcher était fusillé parle SS-Rottenführer Eric Schemel. Le plus souvent on passait la nuit dans les étables et dans les granges, une fois même dans un pré, malgré une température de moins 5 degrés. L'ancien détenu Kurt Kohn relatait à ce sujet:

"Les détenus formaient des cercles concentriques. À l'intérieur il faisait plus chaud et après une demi-heure on changeait les places. C’était bien pour la discipline et cela sauvait la vie à beaucoup de détenus."

Sur le dernier bout de chemin du camp de concentration secondaire Falkensee jusqu'à Sachsenhausen, les détenus ne pouvaient plus marcher et ils furent transportés en métro. À Sachsenhausen il y avait une nouvelle sélection. Beaucoup de juifs furent fusillés dans un établissement spécial de la station "Z" et furent brûlés dans le crématoire. D'autres furent transférés au camp secondaire "Klinkerwerk". Là, beaucoup d'autres détenus, surtout hongrois et polonais, furent transportés vers les camps de concentration Mauthausen, Dachau, Flossenbürg et Bergen-Belsen où une partie d'entre eux trouva la mort.

Déjà quelques jours avant le départ on avait clôturé quelques baraques avec du fil de fer barbelé. On y avait placé les détenus malades incapables de marcher.

Le personnel du chantier a décrit ce qui s'est passé après le départ:

"Je me souviens que les détenus malades furent fusillés par les SS. Les exécutions eurent lieu le 2 février 1945. J’étais attentif à ces événements quand j'entendais les coups de fusils de mon bureau. Ma baraque se trouvait directement face au camp des détenus et n'en était séparée que par des fils de fer barbelés. En cette matinée, je pouvais voir pour un moment que les détenus complètement dénudés devaient aller d'une baraque à l'autre. Pendant le trajet ils étaient massacrés par des mitraillettes. C'était pour moi horrible et bouleversant à tel point que j'en détournais le regard."

"Nous avons dû emporter le casque d'acier et le fusil, monter dans un camion et après nous sommes allés à 2 km du camp vers Guben. Puis je fus déposé devant une grande fosse qui était déjà remplie de cadavres. Ici se trouvait déjà un kommando de détenus composé de 4 hommes.

En réalité, je devais faire mon service à la fosse pour contrôler les détenus. Comme on remarquait mon aversion, je dus fermer la rue éloignée à environ 100 mètres. De là je voyais le transport des cadavres à la fosse. Plusieurs fois deux ou trois camions me dépassèrent. Je vis que les cadavres avaient été tondus de près et détenus."

Par ordre du commandant de Sachsenhausen, ces détenus furent défalqués de la nomenclature comme "mort de sa belle mort" après leur assassinat.

Des ouvriers du bâtiment trouvèrent une des fosses communes en mai 1971 dans une sablière près du village de Staakov. Des collaborateurs de l'institut de médecine légale à Dresde exhumèrent les ossements de 577 hommes. Les instructions du ministère public du district Cottbus prouvèrent que ces squelettes étaient ceux des détenus du camp secondaire de Lieberose. La plupart des détenus avaient été assassinés par des tirs dans la tête et dans la nuque. Quelques crânes avaient plusieurs trous avec des bords polis, c'est-à-dire que les détenus avaient été fusillés avec des pistolets et des mitraillettes.

En souvenir des morts on a bâti le monument en 1973 et le musée en 1982.

 

 

 

Marc Martin Granouilhac.

12.11.1922 Murviel les Béziers (France) - 02.01.1991 Montpellier (France)

"Je suis un rescapé des camps de concentration nazis. J’ai vécu cet enfer durant plus de deux ans et comme vous me le demandez, je vais vous relater les moments cruciaux de cette détention.

C'est donc en mai 1943 que j'ai franchi la frontière Allemande où nous avons commencé un périple avec mes camarades de transport. J’ai connu tour à tour les prisons de ZWICKAU - LEIPZIG.

À notre arrivée en gare d'ORANIENBURG, "l'accueil" des SS fût tout à fait différent de nos gardiens de prisons qui étaient plutôt débonnaires. Les "schlags" tombaient en avalanches et certains de mes camarades qui étaient étalés sur le sol se relevaient à coup de crosses de fusils dans les reins ou sur le visage. Tant bien que mal nous franchissons la porte de SACHSENHAUSEN et nous trouvons sur l'immense place d'appel. Nous sommes ébahis du "spectacle": des murs flanqués de miradors d'où les sentinelles surveillent le doigt sur la gâchette. Des barbelés électrifiés, des chevaux de frise et des panneaux significatifs agrémentés de têtes de mort et de tibias marquant la limite à ne pas franchir sous peine de mort.

Après une attente interminable, nous pénétrons dans un baraquement. Les "Zugänge" sont ballotés vers les secrétaires pour un nouvel interrogatoire, on nous donne ensuite un papier sur lequel est inscrit notre matricule. Nus comme des vers, nous affrontons ensuite le coiffeur. Plus un cheveu, plus un poil ne subsiste. Contrôle des poux, douche.

C’est enfin l'habillement, veste pantalon rayés, deux morceaux de toile à utiliser comme chaussettes "Russes" et une paire de galoches; nous sommes maintenant des "Häftling". Au pochoir nous peignons un F indiquant la nationalité Française, puis un triangle rouge signifiant que le détenu est "un politique" et enfin le numéro matricule.

Nous sommes alors dirigés vers les Blocks de quarantaine (Isolierung) où l'on nous dresse à la vie concentrationnaire. La prise de contact est rude, nous apprenons à marcher au pas, à tourner à droite à gauche, par demi et quart de tour. Nous enlevons nos bérets de la main droite au commandement de "Mützen ab", six cents détenus ôtent leurs bérets de la main droite et le rabattent sur la jambe droite dans un seul claquement. Même les plus réfractaires aux langues étrangères apprennent en Allemand leur numéro matricule ainsi que les grades SS. Car le moindre manquement au règlement est puni de "Sport": nous devons marcher en canard, sauter, nous tenir accroupis les bras tendus avec un tabouret entre les mains pour accentuer la fatigue.

Très rapidement un travail nous est confié au Block, il consiste à dénuder des fils électriques pour récupérer le cuivre. Fréquemment, un SS déboule parmi nous et matraque les bavards ou ceux qu'il estime trop peu actifs. Les séances de dépiautage de fils semblent la corvée la plus habituelle dans les Blocks de quarantaine. Par contre durant deux jours, j'ai fait partie du kommando "Straf-Kompanie" où le travail des déportés consistait à tester les souliers fabriqués par une usine de chaussures. Ce jour-là, il y avait des paires neuves qui avaient été livrées et il de "Meerschweinchen". Les SS n'avaient trouvés rien de mieux que de faire appel aux détenus en quarantaine. Durant toute la journée, nous avons tourné en rond sur un terrain difficile spécialement choisi pour provoquer l'usure des chaussures. C'est ainsi qu'en huit mois, un de mes camarades a accompli quelques 8000 kilomètres. Le miracle est qu’il est revenu vivant, sinon bien portant de cet enfer.

Au bout d'environ 20 jours de quarantaine, tous les matins, des détenus sont appelés et acheminés vers des Kommandos distincts. Pour ma part, j'attends ardemment ce jour-là car j'ai hâte de quitter ces lieux. Enfin un matin, une dizaine d'entre nous sommes désignés. Je figure parmi ceux-là (3 Polonais et 7 Français). L'affectation est le Kommando LIEBEROSE. C'est donc fin avril 1944 que nous arrivons au camp avec le camion du ravitaillement. Dès l’enceinte franchie, Nous ressentons une certaine froideur, lorsque nous faisons la comparaison avec SACHSENHAUSEN. Le camp n’est pas terminé. Des arbres abattus sont disséminés un peu partout et les 600 détenus qui sont là nous disent que le travail est très dur. Pour ma part, le lendemain je suis affecté à l'installation des fils barbelés entourant le camp.

Certains de mes camarades sont désignés pour le Kommando "Straßenbau". Le soir ils rentrent épuisés car le travail consiste à daller une route et les SS et les "Vorarbeiter" les frappent sans répit. D’ailleurs une semaine après notre arrivée un de mes camarades rentre un soir au camp en piteux état. Un SS s'est acharné sur lui toute la journée. Ses jambes sont affreusement meurtries. Au matin, il ne peut se lever. Sur notre insistance, nous réussissons à l'amener au "Revier". Quatre jours après il est ramené à SACHSENHAUSEN je n'ai jamais pu avoir de ses nouvelles même après notre retour...

Début juin 1944, il arrive un premier convoi de juifs Hongrois en provenance d'AUSCHWITZ. Les Blocks qui avaient été édifiés récemment leurs étaient destinés. En tout ils seront 2 500. Ils n'ont pas le moral et n'essayent pas de réagir. Aussi au bout de quelques semaines, près de 500 décèdent. Le "Revier" est plein à craquer. Devant la porte sont allongés sur le sol. Ils sont dans un état squelettique et comparable à des cadavres. Quelques jours après, les moribonds partent en "Transport". Les autres sont acheminés sur le crématoire de SACHSENHAUSEN.

Lorsque l'installation des fils barbelés est terminée, je suis affecté dans un kommando travaillant à "Ullersdorf". Nous sommes environ 1000 détenus. Le travail consiste à abattre des arbres et niveler le terrain destiné à ériger des constructions nouvelles. Trois jours après mon arrivée dans cette colonne, le "Vorarbeiter" (un triangle vert Allemand) s'est acharné sur moi

à coup de manche de pelle durant tout l'après-midi. Il prétextait que je conduisais la brouette trop lentement.

C'est péniblement que je regagnais le camp avec l'aide de mes camarades qui m'ôtèrent ma chemise qui s'était collée à mon dos avec le sang coagulé. Je souffrais énormément mais je pensais surtout au lendemain si la même scène se renouvelait, je n'arriverai pas à tenir. C'est alors qu'un camarade Allemand (triangle rouge, ancien SS déserteur, qui avait aussi fait ses premières armes lors de la révolution Espagnole, écœuré du régime nazi) qui logeait dans ma chambre me proposa d'aller voir avec moi le "Vorarbeiter": après une discussion assez élevée celui-ci accepta ma mutation dans le Kommando de mon camarade. Le lendemain matin, je partais donc sur un nouveau chantier. Le trajet était assez long puisque nous étions acheminés par camion. Notre travail consistait à monter des baraques destinées à la création d'un "Lazarett" qui était situé dans un bois à proximité de la voie ferrée, ce qui était tentant pour l’évasion.

Un jour un camarade Polonais prit la fuite. Dès que l’adjudant SS qui commandait le KOMMANDO s'en aperçu, il nous fit rassembler et garder par les "Posten". Nous passâmes la nuit dans le bois. Le lendemain se fût le retour au camp sans notre camarade. À l'appel du soir, notre pauvre camarade qui avait été repris durant la journée, défila pied nu en chemise devant tous les détenus au garde à vous. Sur son dos il portait un panneau sur lequel était écrit "j'ai tenté de m'évader je mérite la pendaison". La sentence fût exécutée à SACHSENHAUSEN le surlendemain.

Durant l'hiver 1944, je changeais de Kommando et travaillait à LIEBEROSE, à la construction d'une "Bäckerei" destinée à l’approvisionnement des SS. Celle-ci se trouvait au bord de la route face à une épicerie. Les "Postens" montaient la garde le long de la route et sur un mamelon situé au-dessus du chantier.

Un matin, comme à mon habitude, j’allais chercher de l’eau à la fontaine voisine. Une "Frau" Allemande, une cruche à la main s'est approchée de moi en se cachant des "posten". Elle me dit "tu es Français ?" à ma réponse positive, elle répondit "reviens dans un moment tu auras un morceau de pain dans la paille de la fontaine" ce qui fût exact. Le soir lorsque je racontais mon aventure à mes camarades, nous savions que le peuple Allemand était soumis mais non résigné.

Fin janvier 1945, l'avance Soviétique provoque dans le camp les préparatifs d'évacuation. Au début de février, nous quittons LIEBROSE. Nous sommes environ 2 000 détenus, les routes sont enneigées. La marche est pénible et certains camarades sont déjà en difficultés, malgré toute leur volonté, leur ténacité à survivre. Car avant notre départ de LIEBEROSE le commandant du camp nous avait prévenu "tous les "Häftling" qui ne pourront pas suivre seront abattus". Nous étions restés septiques pensant que ce n'était que des paroles. Hélas! Au bout de dix kilomètres de marche les premières exécutions commencent. Dix camarades juifs sont abattus d'une balle dans la tête.

La deuxième nuit est épouvantable, nous sommes parqués depuis deux heures dans une grange lorsque rentrent plusieurs SS munis de lampes électriques. Ils procèdent au tri: d’un côté les juifs, de l'autre les ariens. Ensuite, lorsque le tri est terminé, ils commencent à s’acharner à coup de "Gummi" sur les premiers, c'est une véritable tuerie. Toute la nuit ce n'est que cris d'angoisse et cris d'agonie qui déchirent le silence. Au petit jour, les corps des juifs morts ou blessés jonchent le sol. Certains matins, avant le départ, un officier inspecte les rangs. Il fait sortir les Juifs les plus affaiblis. Ils sont alors conduits derrière un fourré par deux SS mitraillettes aux poings suivis de deux détenus munis de pelle et pioche. Un court instant se déroule, une rafale retentit et un moment après, c’est le retour des assassins et des fossoyeurs. Aussitôt la marche reprend, plus angoissante que jamais.

Ainsi tout le long du parcours nos camarades Juifs sont décimés. Déjà avant notre départ, près de 1800 malades avaient été exterminés et enfouis dans la fosse du four crématoire en construction.

Enfin, vers le 8 février nous atteignons FALKENSEE. À notre arrivée dans le camp, la plupart d'entre nous exténués, tombent sur la place d'appel. Le commandant du camp, lorsqu'il voit notre état, passe une drôle de semonce à notre chef de convoi. Nous passâmes la nuit au camp et cette nuit-là, nous avions l’impression d'être dans des lits de plumes. Le lendemain nous rejoignons SACHSENHAUSEN en empruntant le métro de BERLIN. À peine le porche franchi un tri est effectué par les SS. Les forts d'un côté, les faibles de l’autre. Je fais partie des faibles et avec mes camarades nous sommes dirigés vers les Blocks de quarantaine. Dans la soirée un SS appelle mon matricule ainsi que celui de deux de mes camarades. Il nous demande si notre profession est "Schneider : Gut Schneider." Après notre réponse affirmative, il nous dit que nous sommes affectés au kommando "Offiziersschneider" dès le matin. Après le départ du SS tous les détenus sont invités à sortir des Blocks et à se ranger dans la cour. Lorsque nous sommes tous réunis commence un interminable appel qui durera toute la nuit. Au fur et à mesure qu'ils sont appelés, les détenus rentrent à nouveau dans les Blocks. Au petit matin nous ne restons que les trois "Schneider". Les portes des Blocks se sont refermées et nous n'avons pas le droit d`y pénétrer. Lorsque la cloche annonçant le rassemblement des Kommandos retentit, on nous ouvre la grille donnant accès à la place d'appel et nous pouvons rejoindre notre colonne.

Je n'ai plus revu les camarades qui avaient regagnés les Blocks. A la libération à SCHWERIN aucun n'étaient présent à la caserne ADOLF HITLER. Où donc étaient-ils passés ?...

Après plusieurs enquêtes, j'appris qu'ils avaient été exterminés. Ils étaient partis en "Transport" et avaient péris dans les wagons. Le haut commandement SS ne sachant plus où loger les détenus qui évacuaient les camps annexes en raison de l'avance Soviétique, avait trouvé cette solution qui dégageait le crématoire.

Dans les deux camarades qui sont avec moi, l'un est Polonais, l’autre est Français. Lorsque nous ne sommes plus que tous les deux, il me demande si je suis tailleur, car lui, il ne l'est pas. Il est anxieux, j'essaie de le rassurer : "Attendons de voir". Au "Offiziersschneider" nous sommes quinze "Häftling". Il y a un autre camarade Français parmi nous et il s'avère qu’il est originaire de PERPIGNAN. J'en suis très heureux puisque nous sommes pratiquement de la même région. Comme son nom l’indique, au Kommando "Offiziersschneider" ce ne sont que des officiers SS qui viennent à l'atelier se faire retoucher leurs tenues. Mon camarade de PERPIGNAN qui est là depuis 17 mois me dit que depuis 5 à 6 mois, les officiers ne commandent plus des tenues neuves. Cela nous réjouis et dénote bien qu’ils sont désabusés. D’ailleurs quelques jours après notre arrivée, certains nous apportent des costumes civils à arranger.

Ils sentent progressivement la défaite arriver, d'autant plus que les bombardements redoublent d'intensité et particulièrement celui du 10 avril 1945. Vers 14H30 environ la première vague commence à arriver. Nous sommes allés nous réfugier dans le bois qui jouxte les ateliers. Déjà la deuxième vague apparaît dans le ciel, des grappes de petites bombes déferlent vers le sol. Allongés dans l’herbe, nous apercevons distinctement les bombardiers qui volent par groupe de douze. Certaines vagues lâchent des bombes explosives. Les explosions font rage. L’entrepôt principal des huiles, le dépôt d'essence, les logements SS tout flambe. Malheureusement des bombes tombent aussi à l'intérieur du camp de concentration et des Blocks sont incendiés. Certains camarades qui n'avaient pu rejoindre les abris sont ensevelis sous les gravats. Quelques-uns ne seront que commotionnés, hélas d'autres ne survivront pas à leurs blessures. Quand le raid prend fin, nos gardiens ne sont plus avec nous. Pris de peur ils se sont réfugiés dans les abris. Ainsi, il nous serait possible de fuir, mais où aller?...

Nous sommes démunis de tout et notre mine et nos costumes nous signalent à l’attention générale. Nous rentrons nombreux au camp sans sentinelles. Le lendemain le camp ne travaille pas mais les SS prennent des détenus pour aller déblayer les ruines. Tous les matins, c'est le même procédé. Nous sommes tous repoussés dans un cul de sac et lorsque nous sommes bien coincés à l’intérieur, un nombre d'entre nous est pris pour le déblayement. Un seul jour je ne peux éviter la corvée. C'est à la gare d'ORANIENBURG que nous allons. C'est un spectacle terrifiant. Les locomotives sont à demi enfoncées dans le sol tel des piquets. Les wagons sont éventrés, les rails enchevêtrés. Les bâtisses se trouvant à proximités sont détruites. Devant, toutes ces dégradations, nous ressentons en notre être une grande satisfaction et notre moral est des plus optimistes.

Le 16 avril, on entend au loin des tirs d'artillerie qui semble provenir de BERLIN. Le 20 l'alerte sonne et des avions nous survolent. Des bombes tombent autour du camp. Les Blocks en tremblent. Le samedi 21 avril il n'y a pas d'appel. C’est anormal et nous sommes anxieux. Un moment après, l'ordre d'évacuation arrive. C'est avec mes camarades "Schneider" que je dois partir. J’emporte une couverture que je croise en travers du corps. Il est six heures. Nous passons un par un devant une

charrette de ravitaillement. Un pain pour chaque détenu et un morceau de pâté (nous sommes privilégiés car les derniers détenus qui sortiront du camp n’auront pas les mêmes rations).

Nous sortons de la première enceinte du camp. Là nous sommes rangés cinq par cinq. On nous compte par cent une première fois. On nous regroupe ensuite par cinq cents, et nous sortons de la deuxième enceinte. Nous voici sur la route. A gauche en sortant du camp, on nous compte à nouveau, quatre à cinq fois. Le convoi s'ébranle enfin, nous sommes 500. Notre colonne est commandée par un lieutenant, bien épaulé par deux rangées de SS, une de chaque côté de la colonne. Nos gardiens ne sont guère à plus d'un mètre l'un derrière l'autre. Ils ont l’air très mauvais, ils crient sans arrêt. C'est sans doute par dépit car ils savent fort bien qu’ils ne vont pas vers la victoire. Derrière nous suivent quatre fourragères contenant les vivres et les paquetages des SS de nôtre colonne. Nous tirons ces voitures chacun à notre tour, ce qui amenuise nos forces déjà bien précaires.

Nous regardons une dernière fois SACHSENHAUSEN ce camp maudit de nous tous. Témoin de tant de crimes de disgrâce, de détresse et de souffrances, qui à vue défiler bien des défenseurs de la liberté.

Dès le départ, certains dévorent leur pain et leur pâté. Pour ma part, je coupe mon pain en quatre, j'en mange un morceau et je garde le reste en prévision des autres jours (j'avais fortement raison). La majorité des détenus ne connaissaient pas les grandes marches. Seuls les petits camps avaient vécus ces exodes et tous mes camarades de l’odyssée de LIEBEROSE qui se trouvaient dans les colonnes savaient ce qui nous attendait.

Notre colonne était maintenant en route vers le chemin de la délivrance que malheureusement, beaucoup de camarades n’atteindront jamais.

Certains de nos gardiens sont d'anciens détenus de droit communs Allemand qui ont revêtu l’uniforme de la Wehrmacht, car l'effectif SS est insuffisant comparativement au nombre de colonnes.

Sur la route, des civils Allemands évacuent une partie de leurs biens sur des charrettes traînées par des chevaux. Dans les bois des chars Allemands camouflés de branchages attendent l’arrivée des troupes

Soviétiques qui ne doivent pas être très loin. On entend des tirs d'artillerie qui redoublent d'intensité.

La marche inexorable se poursuit. A midi, nous faisons une halte pour permettre aux SS de manger. Nous nous affalons dans les fossés au bout de demi-heure il faut reprendre la route. Nous marchons ainsi jusqu’à la nuit tombante. Exténués nous nous laissons tomber dans un champ en bordure de la route. Il fait froid. Après avoir mangé un bout de pain avec mes deux camarades, nous nous roulons dans les couvertures en nous enlaçant pour avoir plus chaud. Au lever du jour il y a du givre partout, nos couvertures en sont imprégnées. On s'étire. Les membres sont endoloris par la dureté du sol. Au bout d'un moment c'est le départ. C'est très dur car nos jambes sont

ankylosées et flageolantes. Aussi, pour pouvoir démarrer, nous nous tenons à bras le corps cinq par cinq durant plus d'un kilomètre. Une pluie froide se met à tomber. Nous avançons péniblement. Certains camarades sont en difficultés et ont toutes les peines du monde à suivre la cadence. Sur une route avant d'arriver à NEURUPPIN, nous découvrons des cadavres de détenus dans les fossés. Il y en a avec le F dans le triangle rouge, ce qui dénote qu’ils sont de nationalité Française. Certains d'entre eux, afin de nous faire voir qu'ils vivent encore, remuent la nos tentatives de leur porter secours, les SS répliquent à coup de crosses dans les reins et nous bousculent en hurlant: "Schnell, los, los". Impuissant, anéantis nous sommes obligés d'abandonner nos camarades à leur triste sort.

La colonne contre vents et marées avance inexorablement. Après la pause de midi, au bout d'une heure de marche, mon camarade ROBERT de PERPIGNAN sent ses forces l’abandonner, aussitôt avec un autre camarade nous le mettons au milieu de la colonne afin qu'il passe inaperçu des "postens". Ainsi, il continue de marcher soutenu par nous deux. Lorsqu’arrive le soir nous sommes littéralement exténués car nous avons marché sous la pluie durant toute la journée et de surcroît, avons aidé notre camarade à paraître guilleret aux yeux des SS. Nous nous arrêtons dans un bois pour passer la nuit. À peine arrivés, nous nous roulons dans nos couvertures et nous nous allongeons à même le sol pour essayer de dormir et récupérer au maximum.

Le lendemain matin, nous repartons à nouveau. ROBERT va un peu mieux, la nuit lui a été salutaire. Il pleut toujours, nos couvertures regorgent d'eau. Nous les essorons tant bien que mal afin d'éviter de porter un poids inutile, car nous savons fort bien que la journée sera aussi dure que la précédente. Dès que nous avons effectués quelques kilomètres, le même spectacle qu'hier se présente à nos yeux. Sur les bords de la route et dans les fossés, gisent les corps de camarades qui nous ont précédés et que les SS ont assassinés.

Malgré, toutes ces horreurs perpétrées par des êtres immondes, vils, n'ayant plus que l'obsession d'assassiner des êtres sans défenses. Je reste avec mes illusions, une folle espérance me transporte. Je marcherai sur les genoux s'il le faut mais ils ne m'auront pas ainsi.

Tant bien que mal, nous avançons. Il faut aller à tour de rôle pousser la carriole, c'est une terrible corvée pour des hommes épuisés.

Un de mes camarades n'en pouvant plus s'accroche à un arbre au bord de la route. Le SS le bouscule, le menace de son revolver, il l’arrache de l'arbre et le pousse au milieu de la route. Nous nous concertons et demandons au SS de le transporter sur la carriole, nous insistons. Il accepte enfin. Notre camarade est sauvé.

Certains gardiens en ont assez, ils sont fatigués. Ils le sont probablement beaucoup plus moralement que physiquement.

Toutefois certains s'arrêtent pour prendre un peu de repos sur les bornes kilométriques.

Nous essayons de les apitoyer lorsque nous sommes à proximité de silos de pomme de terre. Parfois, certains nous tolèrent d'aller en prendre, c'est identique pour les orties qui sont au bord de l’accotement.

Dans la traversée d’un village, des femmes Allemandes sur le pas de leur porte, nous lancent des biscuits et du pain au grand dam des SS qui hurlent des injures à leur encontre.

C'est le 26 avril que nous arrivons au bois de BELOW. Nous sommes parqués dans des bois de hêtres et de pins, c'est le camp de SACHSENHAUSEN qui est en parie reconstitué puisque entre WITTSTOCK et BELOW 20 000 détenus sont regroupés depuis trois ou quatre jours par les SS.

Le repos escompté est en réalité un véritable enfer. Les mots eux-mêmes perdent leurs sens et n'ont pas de qualificatifs. Il ne s'est écoulé que cinq à six jours depuis notre départ mais pour la première fois nous retrouvons des camarades de colonnes différentes. Et là brusquement, chacun découvre sur le visage de l'autre des faces méconnus.

Avec mes camarades, nous montons une tente avec des couvertures, car dans cette jungle, l'isolé est voué à disparaître. Pour toute nourriture on nous donne une cuillerée à soupe de farine par jour et une boîte d'un kilo de bœuf pour cent. L'écorce des arbres est arrachée et en grattant le tronc, nous procurons un peu de pâte de bois que nous mélangeons à nos cuillerées pour allonger un peu la bouillie. Nous allons puiser de l'eau dans une grande marre. Pour y accéder, nous suivons un sentier jalonné de gardes. Le long de ce sentier, plus une feuille, plus d'orties, tout a plus ou moins brève échéance, été "ingurgité" gloutonnement, car tous ces êtres humains sont réduits à l'état primitif tel des hommes des cavernes. L'avilissement est à son paroxysme.

Le matin, le campement est lamentable. Des morts gisent çà et là, raidis dans leur couverture.

Une charrette passe et les emporte pour les déposer dans la fosse. Les camarades qui participent à la corvée "croque-mort" nous disent que beaucoup de cadavres ont la partie postérieure des cuisses enlevées.

Un grand évènement nous apporte quand même une lueur d'espoir. Des camions de la Croix Rouge apportent des caisses de colis. Au commencement nous recevons un colis pour quatre. C'est un grand plaisir et surtout un grand bienfait car cela nous permet de nous remonter un peu. Il n'en est pas de même pour certains de nos camarades qui trop faibles, ne peuvent plus marcher et meurent dans les heures qui suivent.

 

La pluie glacée n'arrête pas de tomber nos couvertures sont trempées et nous protègent plus. Nous sommes gelés littéralement. Mon camarade ROBERT a le moral au plus bas. Il dit qu'il n'y a plus d'espoir de sortir de cet enfer, que c'est la mort lente et silencieuse qui nous guette à tous. Il reste

amorphe sans réaction. Nous arrivons enfin à le convaincre et à lui faire croire en l'avenir.

Depuis trois jours que nous sommes parqués dans le bois. Nos forces se sont amoindries. Nous essayons de réagir en faisant de temps en temps quelques pas afin d'éviter l’engourdissement car le froid persiste. Autour de nous des camarades rendent leur dernier soupir.

Lorsque nous quittons le bois de BELOW il fait nuit. On nous fait passer devant les phares de deux camions de la Croix Rouge. Les chauffeurs nous distribuent une partie de colis. Qu'elle joie ! Tout en marchant nous en mangeons une partie. Un regain de force nous est insufflé et pour beaucoup d'entre nous cela nous permettra d'atteindre la délivrance.

En fin de nuit nous faisons une halte dans un bois. Au petit matin nous repartons. Dans un fossé plus de vingt camarades donnent leur dernier sommeil. Nous tentons d'apercevoir leurs matricules car il 'y a des Français parmi eux: le sang coule de leurs tempes et cela dénote bien la hargne des SS. Pourtant ils savent bien que la partie est perdue pour eux, mais ils n'en veulent pas démordre.

Une nouvelle journée de terreur commence à nouveau. Que nous réserve-t-elle ! Seront nous demain de ce monde ? Combien de questions nous posons nous tout en poursuivant notre chemin de croix.

Les routes regorgent de civils qui évacuent vers l'ouest. C’est la grande débâcle. C’est quand même pour nous un réconfort et un stimulant qui permet de tenir et d'avancer en automate. Le soir arrive enfin, nous campons dans un petit bois à proximité d'un village. Les SS ont dressé une mitrailleuse dans notre direction. À la tombée de la nuit on les entend se disputer. Certains veulent nous abattre avant de se rendre. D'autres s'y opposent. Anxieux nous attendons leurs décisions. Mourir si près du but se serait vraiment trop injuste. La nuit est dense. Brusquement le calme s’instaure. Nous ne dormons pas cherchant comment nous pourrions nous évader. Finalement la fatigue aidant nous nous endormons. Au petit matin lorsque nous nous réveillons plus un seul SS. Ils se sont enfuis durant la nuit. Nous explorons les alentours, plus d'SS nulle part, nous sommes libres. Alors dans un même élan tout le monde s'étreint, ce n'est plus qu'un cri ils sont partis !

Beaucoup d’entre nous partent au village qui se trouve à proximité les quelques civils qui restent encore nous donnent du lait. Ils ont très peur d'être occupés par les troupes soviétiques.

Au bout deux heures environ, les camarades qui étaient restés au bois viennent nous chercher car les soldats soviétiques sont arrivés.

Nous déferlons aussitôt vers le bois, des cavaliers de l’armée soviétique sont là. L'officier s'exprime en français et nous accueille chaleureusement. Nous lui demandons s'il n'a pas de ravitaillement en excédent, malgré le fait que les troupes qu'il commande sont des troupes de choc et qu'ils ont avancé plus que prévu. Toutefois il nous conseille de nous serons dirigés vers l'Est afin de rejoindre des centres d'accueil où nous serons hébergés.

En cours de route nous franchissons un barrage d'artillerie soviétique. Les batteries sont réparties de loin en loin dans de vastes trous. À notre passage des bras émergent des positions pour nous faire des signes d'amitiés.

Quelques kilomètres plus loin nous rencontrons un groupe de soldats entrain de bivouaquer, spontanément tous veulent nous donner leur repas.

Nous arrivons enfin à CRIVITZ. Mes pieds sont trempés et me font très mal. Avec mes camarades nous cherchons un magasin de chaussures. Hélas, que des pointures trop grandes ou trop petites. Finalement je trouve une paire de pantoufle en raphia. Après avoir passé la nuit à CRIVITZ nous repartons à nouveau. Il pleut. Au bout de quelques kilomètres mes pantoufles sont en lambeaux, avec la pluie le raphia c'est désagrégé et je marche pratiquement pied nu. Au loin nous apercevons une villa, aux abords de la route. Nous nous y acheminons, à notre arrivée une sentinelle Russe monte la garde. Je m’approche d'elle et lui montre mes pieds. Sans hésiter le soldat m’ouvre la porte de la demeure afin que je cherche une paire de chaussures. Mon vœu est exaucé, dans un placard j'ai déniché des souliers vernis qui me vont parfaitement. Après une longue poignée de main au soldat soviétique nous poursuivons notre route. Nous longeons un grand bois où les combats ont dû faire rage. Les cadavres des soldats Allemands jonchent le sol. Des mitrailleuses sont encore en batteries et les soldats qui les manœuvraient ont été tués sur place. Comme il pleut toujours

nous récupérons les capotes des cadavres pour nous protéger.

En fin d'après-midi nous arrivons sur un pont enjambant un ruisseau qui sert de démarcation entre la zone soviétique et la zone américaine. Au bout de quelques kilomètres nous arrivons dans un petit village, des prisonniers de guerre Français y sont logés. Ils nous indiquent où nous pouvons nous installer. Les jours suivants, ce sont eux qui nous nourrissent car ils ont montés une popote.

Le 10 mai nous partons enfin pour la caserne ADOLF HITLER tout prêt de SCHWERIN. Avec deux camarades nous réussissons à avoir une chambre. C’est une chance car même les couloirs sont archicombles. L’inconvénient c'est que tous les jours, il faut faire plusieurs kilomètres pour rapporter du ravitaillement de SCHWERIN. Les Américains n'ont pour l’instant rien à nous donner et nous devons nous débrouiller par nos propres moyens. Ce qui est attrayant pour nous, ce sont les corvées de nettoyage effectuées par des civils Allemands réquisitionnés. La majorité a encore sur le revers de leurs vestes l’empreinte de l’insigne nazi. Les êtres supérieurs sont devenus bien peu de choses.

De nombreux camarades ont la dysenterie. La faim les tenaille tellement qu'ils mangent sans retenues. Certains ne peuvent pas arriver aux WC qui sont la plupart du temps engorgés.

Voilà deux jours que nous sommes là. Les Américains ont organisés la distribution des vivres. Tous les jours nous avons de la soupe et nous touchons aussi des colis de la CROIX ROUGE.

Enfin le 16 mai c'est le départ vers HAGENOW. Le lendemain nous faisons route vers LUNEBURG. Le dimanche 20 mai jour de Pentecôte nous franchissons la frontière Hollandaise. Tout le long de la route la population Hollandaise manifeste sa joie en nous faisant le V de la victoire. Le lendemain nous repartons. Nous prenons le train pour BRUXELLES ou nous recevons un accueil enthousiasme. Comme il est bon et beau ce pain blanc que chacun reçoit avec un chocolat chaud. Quelle joie de retrouver des amis qui sont si chaleureux.

Le summum est atteint, lorsque nous arrivons en France. Tout le pays nous attend. À LILLE où nous sommes dirigés la réception est grandiose. On nous offre pain blanc, confiture, cigarettes, bière etc... Les jeunes filles de la Croix Rouge sont très attentionnées et ne savent que nous faire. Les formalités d'identification et de rapatriement prennent toute la nuit. Le voyage durera encore deux jours car nous nous arrêtons presqu'à toutes les gares. La population veut voir les déportés et savoir ce qu'on vécut ces femmes et ces hommes à l'état squelettique. On nous présente des lettres, des photographies d'êtres chers qui ne sont pas encore rentrés. Hélas, souvent ces absents ne reviendront pas, ils n'auront pas survécus à l'enfer concentrationnaire.

J’arrivais enfin à BEZIERS, à la gare des centaines de personnes attendent l’arrivée des rapatriés. Après la réception protocolaire, on m’amène vers les voitures qui attendent pour conduire les arrivants dans leur famille.

Devant ma maison, des parents, des amis sont là pour m'accueillir. Car depuis quelques jours, la Croix Rouge a prévenu ma famille de mon arrivée. Je retrouve avec une intense émotion ma mère, ma grand-mère et mon père que j'avais quittés depuis deux ans et demi sans jamais avoir de nouvelles.

Le séjour chez moi sera assez bref, puisque cinq jours après mon arrivée, je suis hospitalisé à BEZIERS pour une tuberculose pulmonaire. il me faudra plus de deux ans pour me remettre des sévices des tortionnaires nazis.

Malgré notre santé souvent chancelante beaucoup d'entre nous continuent le combat pour transmettre aux jeunes qui veulent bâtir un avenir de liberté, de bonheur et de justice, l’expérience de nos combats et les mettre en garde contre l’idéologie nazie et fasciste.

Je dirais aux jeunes qui me liront que nous n'avons pas été des surhommes. Qu'en 1940 nous avions leurs âges et qu'à notre place, ils auraient fait ce que nous avons fait. Nous n'avions ni les mêmes préférences politiques ou philosophiques, ni les mêmes origines, mais au rendez-vous de la liberté nos mains se sont jointes pour la vie, contre l’oppression.

 

Témoignage dédié à mon ami

PETER KOTZAN.

Avec mes sentiments de gratitude

MARC GRANOUILHAC

Déporté patriote

KONZENTRATIONLAGER ORANIENBURG-SACHSENHAUSEN

Kommando LIEBEROSE

Matricule N°78403