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Hommage à Jacques Grébol

Mérignac le 4 janvier 2016

 

Notre ami Guy Chataigné, en accord avec la famille du défunt, m’a délégué la lourde tâche de retrouver en chacun de nous l’image de l’homme, de l’ami, du parent que nous avons pu connaître et que nous honorons aujourd’hui.

 

Jacques Grébol naquit à Bègles le 15 septembre 1922. Fils d’immigrés espagnols il est de ces jeunes Français que le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) entendait employer en Allemagne principalement dans les usines d’armement du Reich. En février 1943, Jacques refusait cet assujettissement et tentait, sans succès, de prendre contact avec la Résistance. Ce projet ne semblant pouvoir aboutir, il acceptait la proposition de passer en Espagne à l’aide d’une soi-disant filière d’évasion qui, après lui avoir soutiré le plus gros de son pécule, le signalait à la police allemande. Celle-ci l’arrêtait à bord du train alors qu’il se pensait en route vers l’Espagne et, de là, vers le combat.

Ce fut, tout d’abord la citadelle de Saint-Jean-Pied-de Port, du 29 mars au 3 avril 1943 puis, la caserne Boudet, à Bordeaux où se signalait déjà la brutalité de la soldatesque. Le 21 avril, départ pour Royallieu. Il y resta jusqu’au 8 mai, jour où, à coup de bottes et de crosses de fusil, était constitué le convoi l.100 à destination de Sachsenhausen. Dans ce convoi, en majorité, des jeunes hommes qui, comme Jacques, avaient refusé le Service du Travail Obligatoire. Un wagon, prévu pour quarante personnes, dans lequel sont entassés une centaine d’individus. Pendant deux jours, temps du transport, ils vont souffrir de la faim, de la soif, de la promiscuité, de l’air qui se fait rare chargé des émanations de la tinette qui déborde et souille le plancher et les corps. En cours de route, ils seront déchaussés pour éviter les évasions. Deux jours cauchemardesques, antichambres de l’impensable qu’ils vont atteindre, sous les coups, les cris, et la menace des chiens, en découvrant le camp d’Oranienburg-Sachsenhausen.

La déshumanisation était en route. Tous étaient délestés de leur bien personnel. Plus d’identité mais un chiffre, un numéro matricule à connaître par cœur en allemand auquel il faudra répondre. Tondus des pieds à la tête, désinfectés de façon corrosive, douchés à froid ou sous un jet brûlant selon l’humeur de l’arroseur, Jacques Grébol, comme les autres, recevait ses défroques : un caleçon, une chemise, une veste, un pantalon en fibranne et un calot. Ainsi vêtu, Jacques était dirigé vers le kommando de Küstrin aux confluents de la Wartz et de l’Oder à l’actuelle frontière de la Pologne. Et là, pendant un an et demi, il devra exécuter des travaux de terrassement. Ainsi peu vêtu, il travaillait sur les rives de la Wartz totalement gelée. Pour réchauffer le corps et l’alimenter : le matin, un bol de jus non identifié, à midi, une gamelle de soupe, le soir, le cinquième d’une boule de pain, une petite rondelle de saucisson ou un doigt de margarine, parfois une cuillerée de compote. Et c’était tout pour 24 heures ! Heureusement que jouait la solidarité entre Français et Jacques reconnaissait avoir pu en profiter alors qu’il se trouvait dans une situation critique. Ce délabrement des individus était inexorable. En fait, la rentabilité que l’économie ϟϟ escomptait de chaque déporté nécessitait qu’il soit en état de travailler pendant neuf mois. Jacques tint un an et huit mois avant sa libération. Et pourtant, la mort de chacun était programmée par l’épuisement physique ou moral, les coups, le froid, le travail forcé, la maladie…
Du 3 février au 8 avril 1945, Jacques se trouvait à Buchenwald. Les troupes américaines approchant, l’ordre d’évacuation fut donné. Les déportés se trouvèrent entassés par quatre-vingt dans des wagons minéraliers à ciel ouvert. Cinq jours dans ce wagon, avec au centre une tinette, crevant de froid, sans manger, assoiffés, certains buvant leur urine… Lorsque le train s’arrêta la moitié de l’effectif initial était décédé.
La dernière étape de ce calvaire devait se jouer au camp de Flossenburg et je laisserai le soin à M. XXXX Président de l’Amicale du camp de vous décrire ce que fut cette évacuation.
Jacques Grébol fut libéré le 29 avril 1945. Comme tant d’autres, il lui fallut trouver sa place dans la vie de tous les jours, une place que sa jeunesse volée n’avait pu lui donner. Avec beaucoup de détermination et de travail il parvint à s’insérer dans la voie médicale comme infirmier-anesthésiste, diplômé d’état. Il conservait toutefois ce capital de douleurs acquis au temps de sa déportation. Il intégra la Fédération nationale des Déportés Internés de la Résistance, les amicales de camp de Buchenwald, Flossenburg et Sachsenhausen. Et puis, le Concours de la Résistance et de la Déportation demanda des témoins. Conscient de la valeur de son vécu, Jacques entreprit de faire connaître aux jeunes générations ce que fut la Déportation, tant par ses origines et ses effets que par les décisions à prendre pour éviter le retour d’un tel crime.
Il y a quinze ans de cela, Guy Chataigné et Jacques Grébol entendaient unir leurs efforts dans le travail de mémoire. L’un était de la F.N.D.I.R l’autre de la F.N.D.I.R.P.. Qu’importaient les problèmes d’état-major et de doctrines, ces deux là devinrent inséparables, comme deux frères. Le devoir de mémoire était pour eux un réel apostolat. Il y avait tant de choses à dire, à faire connaître, à faire comprendre. Tant d’images, tant de sujets occupaient leurs souvenirs qu’ils pouvaient tenir une classe une heure, deux heures et plus si cela était possible. Jacques revivait ces heures concentrationnaires avec tant d’intensité qu’il devait, parfois, étouffer un sanglot surgissant du passé. On les découvrait dans les collèges et les lycées, en Gironde aussi bien qu’en Charente, en Lot-et-Garonne ou encore en Pyrénées atlantiques. Ils vinrent témoigner devant les assemblées de militaires. Un après-midi, je retrouvais Jacques intervenant de façon inattendue dans une exposition du Conseil régional consacrée aux Résistants espagnols. Toujours à la recherche d’un moyen de faire entendre sa voix de passeur de mémoire on le retrouvait au sein du Comité départemental du Concours national de la Résistance et de la Déportation. A noter que Jacques Grébol, en plus de ses décorations militaires, telles la Légion d’Honneur, la Médaille Militaire et la Croix de Guerre 39/45, fut nommé chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques.

Rappelons que la municipalité de Mérignac, consciente de la valeur du travail de mémoire effectué par Jacques Grébol et son ami Guy Chataigné, avait tenu à honorer ses deux hommes, pour le 70 ème anniversaire de la libération des camps, par l’organisation d’une exposition, à la Maison des Associations de Mérignac.

Allant plus loin, Jacques Grébol revenait en Allemagne en pèlerinage sur ses lieux de détention et, d’une manière plus engagée, il souhaitait entrer en contact avec les actuels responsables allemands travaillant à la mémoire. Il aimait à rappeler sa fierté et son émotion lorsqu’il témoignait devant des classes de jeunes allemands. Jacques le répétait souvent « Si je continue à lutter contre le nazisme, je ne puis en vouloir au peuple allemand victime de la démagogie. »

Nous savons que Jacques Grébol souhaitait nous voir poursuivre ce devoir de mémoire auquel il attachait tant d’importance. Aussi, aujourd’hui, puis-je rassurer ses craintes en affirmant que nous assumerons cette tâche tant que cela nous sera possible.

Mon cher Jacques, repose en paix !

Jacques Loiseau

Président du Comité départemental

du Concours de la Résistance et de la Déportation

Président départemental honoraire de l’A.N.A.C.R.

Président de l’A.N.A.C.R. de Mérignac