PARCOURS D'UN JEUNE HOMME: LA PERIODE DE LA GUERRE MONDIALE 1939-1945
Serge Schneider né le 25 juillet 1924 à Montois, département de Moselle est Déporté vers le camp de concentration de Sachsenhausen le 24 Janvier 1493; Matricule 59374.
J'ai habité de 1927 à 1976 à Auboué en Meurthe et Moselle. A six ans, je rentre à l'école primaire de la ville et y effectue une scolarité normale jusqu'au Premier Ordre. A quatorze ans, le 1 er août 1938, je rentre en apprentissage à l'usine locale de métallurgie, filiale de Pont-à-Mousson, comme mécano-électricien. Mes parents, faute de moyens, n'ont pu me faire continuer les études; contrairement à l'avis de monsieur DOUCHET, alors directeur de l'école qui aurait désiré me voir poursuivre mes études. En effet, mon rêve était de devenir médecin.
En 1936, il est créée, en France, une organisation pour les jeunes, qui s'appelle « l'Enfance Ouvrière ». J'y adhère dès la première heure. C'est là que je pratiquerai des activités de plein air et de gymnastique, que j'y apprendrai à vivre en collectivité. Nous faisons des sorties de groupes accompagnés d'adultes notamment de notre moniteur de gymnastique que nous apprécions tous. Grâce à lui nous allons à de nombreuses fêtes champêtres dans toute la Région.
A mon entrée en apprentissage, début août 1938, j'adhère aux jeunesses communistes. Le 30 novembre de la même année, il y eut une grève à l'usine d'Auboué. Mon père qui était secrétaire C.GT.de l'entreprise fut licencié. Sans travail et n'en trouvant pas, il prit en avril 1939, une gérance de Bar Dancing Restaurant dans la localité.
En ce qui me concerne, mon contrat d'apprentissage à l'usine était d'un an. Une fois l'année écoulée, celui-ci ne fut pas renouvelé. Juillet 1939 voyait mon licenciement, alors qu'il était rare qu'un jeune apprenti ne puisse aller jusqu'à la fin de l'apprentissage et passer le C.A.P.
Au moment de la débâcle en juin 1940 nous sommes restés à Auboué, les premiers prisonniers de guerre évadés sont passés par notre maison, ont eu nourriture et habits. Par la suite il a fallu faire appel à d'autres personnes. Lorsque les gens sont revenus de l'exode, papa a contacté un boulanger qui a été d'accord pour aider en habits et en pain, ce qui fut une bonne chose, car nous n'avions plus les moyens.
De 1940 fin 1941, j'ai travaillé dans une brasserie à Homécourt, jusqu'en. En juin 1941, maman est décédée, un accident en 1932 je crois, lui a provoqué une paralysie d'une jambe puis le mal a progressé.
La Résistance :
C'est à partir d'avril ou mai 1941 que nous avons commencé à nous réunir. Notre première action a été de lancer sur les fils électriques, dans la nuit du 13 au 14 juillet 1941, des petits drapeaux tricolores confectionnés par d'autres personnes. C'est ensuite que des groupes de trois ont été constitués; toutes les réunions se passaient dans notre café.
Je suis devenu chef de groupe, notre mission était surtout la distribution de tracts; il nous est arrivé une fois, en les mettant sous les portes, après le couvre-feu, de tomber sur une patrouille de gendarmes français qui nous a poursuivis; nous avons eu le temps, avec mes deux camarades de dévaler le ravin qui conduisait à la rivière; ils ont tiré plusieurs coups de feu dans notre direction sans nous atteindre; nous faisions des inscriptions sur les murs.
Une autre fois, avec le responsable de secteur, je suis allé à Jarny à bicyclette, chercher des armes; à notre retour, devant notre café, les gendarmes nous ont demandé ce que nous avions dans les paniers, le camarade a répondu: « du beurre»; ils nous ont laissés passer, pensant certainement à une blague... Ou peut-être trafiquaient-ils déjà avec eux, puisqu'une fois il a été arrêté par les gendarmes et se serait évadé? Par la suite c'est lui qui sous la torture a donné tout le réseau, treize ont été fusillés dont lui même.
Le plus difficile était d'inscrire les mots d'ordre sur les murs pour deux raisons: la première c'était un quartier à 90% de français et la seconde, la gendarmerie faisait beaucoup de rondes, ceci explique peut-être cela.
Depuis mars 1940, je travaillais dans une brasserie d'une localité voisine; ce, jusqu'en décembre 1941. Il a fallu que je prenne des leçons de conduite avec un chauffeur expérimenté, puisque le patron, ayant son permis, ne pouvait plus conduire (il avait perdu un œil dans une bagarre). L'entreprise disposait d'une camionnette de 3500 kg, ce qui m'a permis de conduire le véhicule, mais toujours accompagné.
Le 7 février 1942, un car nous attendait à la porte de la prison avec 16 camarades qui avaient été arrêtés le matin, dont mon père; une douzaine de « feldgendarmes » nous entourait pour nous conduire à la prison de Nancy; mon père fut mis directement au secret, et nous avons été séparés en deux groupes pour occuper deux cellules.
Après la fermeture de cette entreprise, je devais donc chercher autre chose, cela a été très difficile. C'est à l'usine d'Homécourt que j'ai pu commencer le 5 février 1942. Ce premier jour, en rentrant à 17h00, deux camarades (Maurice Froment et René Favro) m'interpellent pour m'annoncer qu'il y a eu sabotage du transformateur à l'usine d'Auboué par un groupe de nos camarades; nous avons discuté quelques minutes puis la maison a été cernée par la gendarmerie française et la police secrète; ils ont envahi notre café; personne ne devait bouger, perquisition dans toutes les pièces; malheureusement, ils ont trouvé dans ma chambre un paquet de tracts, un camarade de la localité voisine n'était pas venu chercher le paquet deux jours avant; étant encore à table avec mes deux camarades, nous avons été emmenés tous les trois dans la prison de la gendarmerie; le lendemain nous étions transférés à la prison de Briey.
Quelques jours plus tard, d'autres furent arrêtés avec plusieurs personnalités qui furent vite relâchées.
Une semaine après, je fus conduit à la kommandantur, interrogatoire musclé, ils voulaient savoir à qui était destiné le paquet de tracts qui avait été trouvé dans ma chambre; je n'ai jamais parlé, mais je revenais dans la cellule le visage en sang; mon camarade Maurice qui m'avait pris sous son aile me soigna, cela à plusieurs reprises jusqu'au 3 Mars 1942; ce jour là, avec 18 camarades, dont mon père que je retrouvai, nous avons été conduits à la gare de Nancy sous les crachats de la foule qui faisait la haie, en nous traitant de terroristes. C'est à ce moment-là que les allemands nous ont dit que si les saboteurs du transformateur n'étaient pas trouvés nous serions fusillés.
Partis de Nancy, nous sommes arrivés à la gare de Compiègne et conduits au camp de Royallieu dans la soirée. Le lendemain, à 17h 00, appel; plusieurs camarades sont appelés et emmenés: c'est à ce moment-là que des camarades entonnent la Marseillaise qui est reprise en cœur par l'ensemble des détenus; quel frisson nous parcourt grâce à ce chant que tous les révoltés chanteront au cours de notre calvaire. Nous apprendrons par le responsable du camp que les camarades ont été fusillés le lendemain, à l'aube.
Si les allemands n'avaient rien dit pendant que nous chantions, le lendemain nous étions informés que pendant un mois nous étions privés de colis pour ceux qui pouvaient en recevoir; également les corvées, plusieurs appels dans la journée, alors que par la suite nous n'en avions qu'un.
Dès que nous sommes arrivés à Compiègne, nous avons été pris en charge par des camarades; personnellement je n'avais pas 18 ans et j'ai bénéficié d'une soupe supplémentaire ainsi que d'une ration de pain que je partageai avec Papa et mes camarades; après quelques jours au camp, les groupes de résistants ont été formés par notre camarade Camille Thouvenin et chaque jour, nous faisions de la gymnastique, de l'entraînement militaire en prévision d'un futur débarquement.
Selon A Poirmeur, la répartition des internés ayant séjourné au Frontstalag 122 est la suivante:
Déportés vers l'Allemagne: 49860
Fusillés, massacrés et disparus: 2300
Malades décédés: 300
Victimes de bombardements: 75
Transférés vers des prisons ou vers l'organisation Todt: 600
Evacués: 120
Libérés: 430
Hospitalisés à la liquidation du camp: 100
C'est dans le courant avril que j'ai été appelé au bureau; un peu étonné je m'y suis rendu avec Papa; lui est resté devant la porte; à l'intérieur se trouvait un S.S.; de nouveau interrogatoire sur les tracts trouvés dans ma chambre; j'ai toujours répondu de la même façon que je ne connaissais pas la personne qui devait venir chercher le paquet; à la fin de cet interrogatoire, il me demande pourquoi je m'appelle Serge, « c'est un nom russe »! j'ai répondu que je ne savais pas, il m'est arrivé son poing sur le nez et mon sang a pissé. Papa qui avait vu à travers la vitre a voulu bondir mais le garde allemand qui était devant la porte l'en a empêché, baïonnette au canon (je l'ai su après par mon père). Par la suite, je n'ai plus été interrogé.
Le camp de Royallieu forme un quadrilatère de 400 mètres de côté. Des chicanes barrent les routes d’accès au camp. Des miradors avec projecteurs permettent la surveillance de nuit.
La vie au camp a continué, entraînement tous les jours; puis le 5 Mai 1942, à l'appel du soir, je suis convoqué, et je dois prendre mes affaires pour partir, destination inconnue; le responsable du camp Georges Cogniot est venu me voir, tout en préparant mes affaires, m'a demandé pourquoi j'avais été arrêté; mon père que faisait-il? Je lui ai expliqué, il m'a souhaité beaucoup de courage et donné un paquet de cigarettes; après son départ, je l'ai donné à Papa qui était très malheureux, ne sachant ce qui m'arrivait.
Lorsque l'appel a été fini, deux allemands sont venus me chercher, j'ai été conduit dans une baraque pas loin de la sortie du camp; je n'ai pas eu de soupe; par contre, à l'intérieur, des noms gravés sur le mur avec l'inscription« nous allons mourir demain pour la liberté, mort à Hitler, Pétain collabo », m'ont fait réfléchir la nuit en pensant que le lendemain j'allais aussi mourir; le reste de la nuit je n'ai pensé qu'à cela.
Le lendemain matin, le jour n'était pas encore levé lorsqu'un « feldgendarme » est venu me chercher; il m'a mis les menottes, nous sommes passés au bureau des entrées, j'ai été rayé des effectifs, puis nous sommes partis à pied jusqu'à la gare de Compiègne; je me suis retrouvé à celle d'Amiens et dirigé au tribunal devant des officiers allemands; cela a duré un quart d'heure environ et j'ai été condamné à 3 mois de prison; le président, je suppose puisqu'il occupait le fauteuil central, a posé la question par l'intermédiaire d'un interprète pour savoir si je n'avais rien à dire; j'ai répondu que c'était beaucoup; tout en riant il a descendu la peine à 6 semaines, en disant (« ganz egal »?) , c'est la même chose, je n'ai pas compris.
Le soir même, je suis revenu au camp, cela se passait le 6 mai 1942. Je ne suis pas passé au bureau des entrées, je saurai plus tard que je ne faisais plus partie de l'effectif; d'ailleurs lors du convoi du 6 juillet pour Auschwitz, mon père et tous mes camarades arrêtés les 5 et 7 février sont emmenés. Pas un seul n'est revenu.
Le lendemain, les camarades de Meurthe et Moselle, qui n'étaient pas partis, m'ont fait venir dans leur bloc, le N°4; certains travaillaient à la cuisine; pour moi, c'était un bien car depuis le 6 mai, je n'avais aucun colis; les camarades ont fait le maximum pour ramener le soir, après leur travail, de la nourriture qu'ils volaient au magasin.
Entre temps, dans la nuit du 21 au 22 juin 1942, plusieurs camarades se sont évadés par un tunnel qu'ils avaient creusé avec des mineurs de Meurthe et Moselle; parmi les évadés, notre chef de camp Georges Cogniot. Plusieurs ont été repris et fusillés.
J'ai appris que je n'étais plus dans les effectifs par les camarades qui travaillaient aux colis; il y en avait un qui était arrivé à mon nom, mais les camarades l'avaient remarqué; ayant fait la démarche près du nouveau chef de camp, j'ai dû faire une déclaration sur l'honneur comme quoi j'étais bien au camp. Par la suite, j'ai appris que c'était une tante qui habitait près de Dijon qui était venue m'apporter le colis. Officiellement réintégré au camp, début décembre 1942, je suis emmené à la prison de Compiègne pour faire les six semaines de prison.
A mon retour quelques jours plus tard, un convoi était organisé pour une déportation au camp de concentration de Sachsenhausen-Oranienburg, le 24 janvier 1943. Nous sommes parqués dans des wagons à bestiaux très tassés avec une tinette au milieu, c'est un transport très dur, il fait froid, nous avons soif; à une petite lucarne, nous récupérons les glaçons qui pendent, malheureusement il n'y en aura pas pour tout le monde; c'est notre camarade GERARD qui convaincra les camarades qu'il faut les laisser pour les plus jeunes, tout le monde a approuvé. en route, il a été permis de prendre de l'eau dans une gare allemande.
A notre arrivée à « Sachso » le 25 janvier 1943, c'est à la « schlague » que nous sommes évacués des wagons; plusieurs camarades seront blessés à la tête; à notre arrivé au camp, nous passerons à la désinfection, rasés de la tête aux pieds, puis habillés en tenue de bagnard; à la sortie, il fallait s'appeler par les noms; il était impossible de se reconnaître.
Ensuite, nous avons subi la quarantaine; cela sera la vraie vie de bagnard; nous sommes aux blocs 37 et 38; nous nous couchons très tard, mais dans la nuit, les responsables, des droits commun, nous ont fait lever pour un appel; nous avons de la neige dans nos sabots; la journée, nous en faisons également plusieurs : à chaque fois, nous devons laisser nos sacs de provisions sur les tables, les français ne sont pas très obéissants mais nos« bandits» veillent et ce sont des coups qui pleuvent; au bout de deux jours, nous n'avons plus rien dans nos petits sacs, et pendant un mois, nous subirons les quatre volontés de ces «bandits».
Après discussions avec les camarades, nous décidons de ne pas travailler en usine, nous nous déclarons: travailleurs du bâtiment. Au bout du mois, nous serons affectés dans les commandos à creuser des tranchées ; nous y resterons environ deux mois; pendant ce temps plusieurs camarades mourront sous les coups. Personne ne pensait que ce travail soit si dur avec si peu de nourriture.
Nous ne savons pas pourquoi, mais ceux qui en France travaillaient dans des usines, se sont retrouvés à travailler au hall 3 de l'usine Heinkel qui abritait la fabrication d'avions du même nom. L'avantage, nous étions à l'abri, mais il fallait produire.
Personnellement, je travaillais à la colonne 5 qui était la soudure; il va falloir apprendre; mon camarade Raymond m'aidera dans cet .apprentissage; dans cette colonne, nous ne serons pas battus mais par contre nous ferons une semaine de jour, la suivante de nuit; c'était épuisant, avec le froid, le manque de sommeil. Nous quittions notre travail à la dernière minute pour l'appel, du lundi au samedi; la semaine où nous faisions la nuit, nous finissions le dimanche matin. Le travail de nuit était difficile, nous dormions très peu, après ce qui était appelé le café, nous nous couchions jusqu'à midi et demi, ensuite c'étaient les corvées, soit ramasser les papiers dans le camp soit l'épouillage, mais pour l'appel du soir nous étions les premiers sur la place d'appel.
Le dimanche matin était en général un appel sans fin, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il gèle; à plusieurs reprises, nous étions comptés et recomptés ; c'est dans ces moments là que beaucoup de camarades s'effondraient et étaient emmenés au four crématoire même s'ils bougeaient plus ou moins; je l'ai vu de mes yeux, dans la charrette, ça remuait.
C'est au début septembre que je suis appelé chez le commandant, il m'a montré une pièce que je faisais à la colonne de la soudure; elle consistait à soutenir les ailes de l'avion Heinkel qui avait quatre œillets que je devais souder et mettre mon numéro; le commandant qui parlait français m'a accusé de sabotage; j'ai nié en expliquant que je n'étais pas professionnel, il m'a condamné à deux semaines de commando disciplinaire.
Cela a été deux semaines très difficiles. Heureusement la solidarité a marché à plein; le soir j'ai toujours eu soit de la soupe en supplément, soit du pain, en alternance. Dans ce kommando nous avions un sac sur le dos d'environ vingt kilos avec un changement de chaussures chaque jour. Le circuit, nous étions au camp central, se faisait autour de la place d'appel avec des passages d'une dizaine de mètres, soit de pierres, soit de sable, soit d'eau; celui qui commandait ne permettait pas que l'on traîne, sinon c'était les coups.
En janvier 1945, je travaillais au hall 8 à faire des cylindres pour gazogène; en triant les tôles pour rechercher le calibre, celles ci me sont tombées sur la jambe droite; j'ai été emmené au « revier » de Heinkel, puis à Sachso; le Docteur Coudert m'a annoncé plusieurs jours après que j'avais une fracture de la rotule et que j'en avais pour un moment; j'ai eu un plâtre sur toute la jambe, ensuite j’en ai eu un second qui me tenait uniquement le genou; il m'a été enlevé quelques jours avant l'évacuation, mais je boitais beaucoup, cela a duré des mois.
Je n'oublierai jamais la solidarité qui m'a permis de sortir de cet enfer, je le dois beaucoup à mon camarade Charles DESIRAT, qui m'aidera pour la première journée d'évacuation. Malheureusement, après cette première journée de marche, je n'en pouvais plus. La nuit, nous avons dormi sur une place sous la pluie; le lendemain nous étions cinq à ne plus pouvoir marcher, les S.S. nous ont fait rentrer dans une grange qui se trouvait tout près et nous avons attendu; nous avions peur sachant que dans la première journée plusieurs camarades qui ne pouvaient pas suivre avaient eu une balle dans la tête; dans l'état où nous étions, nous ne pouvions aller plus loin, mais la chance était avec nous; après l'évacuation de tous nos camarades Déportés, un soldat allemand est venu dans la grange, quelle surprise! Hans était un ancien détenu qui avait travaillé avec moi à la colonne 5; nous nous sommes serrés la main et tout de suite il nous a dit « vous cinq, pas fusillés, prison»; c'est comme cela que nous avons échappé à la mort; mis à la prison de Neuruppin : là, le directeur nous a fait un discours, que nous serions bien nourris; effectivement jusqu'au 30 avril midi, nous avons eu suffisamment à manger; ce jour là, ce même directeur nous a dit que la guerre était finie, et nous a indiqué les directions où étaient les alliés; tous les cinq, nous sommes partis; lorsque nous sommes arrivés au premier village, il faisait nuit, le premier coin que nous avons trouvé pour dormir, nous y sommes restés.
Le lendemain, lorsque nous nous sommes réveillés, nous étions saouls; nous avions dormi dans une distillerie. Nous avons vite repris nos esprits, des soldats soviétiques étaient dans ce petit village. Nous étions libres mais pas au bout de nos peines; nous étions le 1er Mai 1945; le 10, nous avons été évacués en zone britannique; là, il a fallu chercher sa nourriture dans les maisons détruites de Magdeburg; pour revenir en France nous avons refusé d'être mis dans des wagons à bestiaux; nous avons eu le lendemain des wagons de troisième classe. Nous sommes passés par la Hollande, la Belgique, et démobilisés à Hirson; puis Paris où j'ai dormi chez mon camarade Pierre Gouffault; le lendemain j'ai pris le train en première mais dans le couloir jusqu'à Briey et six kilomètres à pied jusqu'à Auboué, malgré mon boitillement.
Enfin je retrouvai mon village après quarante mois d'absence, jour pour jour.
Ce cauchemar a duré 27 mois en camp de concentration. A mon retour j'ai fait dix huit mois de Sanatorium.
Serge Schneider